« Tu as du prix à mes yeux, tu comptes beaucoup et je t’aime » (cf. Is. 43, 4), c’est ainsi que le Seigneur s’adresse à son peuple Israël, pour le rassurer, l’encourager et lui annoncer tout ce qu’Il va faire afin d’en prendre soin et lui manifester concrètement son amour. En 1998, un jésuite - le RP de Brugière, dont il m’est agréable de rappeler le souvenir – m’avait fait découvrir cette phrase du prophète Isaïe, qui a bouleversé mon cœur et ma vie.
Cette conviction doit marquer notre propre vie de foi, d’hommes et de femmes. Ce n’est pas grâce à nos qualités et vertus, et malgré nos péchés et défauts que le Seigneur nous aime. Le Seigneur nous aime inconditionnellement et c’est cet amour inconditionnel qui nous permet de dépasser nos limites, de vaincre nos péchés, sans nous laisser aveugler par nos mérites. Il est si facile de nous enorgueillir de nos réalisations, succès et qualités, tout en feignant d’ignorer ou de relativiser nos défauts, nos limites et nos péchés. Nous pourrions ne chercher qu’une perfection extérieure qui ne serait que superficielle si elle ignorait la réalité de nos limites et de nos péchés.
Nous devons découvrir à quel point le Seigneur a besoin de chacun de nous, non pas grâce à nos mérites et malgré nos péchés, mais parce qu’Il nous aime, tels que nous sommes. Cela ne veut pas dire qu’il faut se contenter de la situation, mais au contraire, cette conviction et cette assurance nous donne de l’audace pour ne pas nous appuyer seulement sur nos forces, et afin de convertir nos cœurs et être victorieux de nos péchés. Et cela, nous ne le pouvons faire en vérité, précisément qu’avec sa Grâce, c’est-à-dire son amour qui se donne sans autre condition que d’y consentir, de l’accueillir et de le laisser œuvrer.
Ce qui est vrai pour chacun de nous dans notre relation à notre Dieu, est aussi une réalité qui doit transfigurer nos relations les uns avec les autres, parce que la grâce de Dieu passe aussi par ce qu’un autre jésuite que j’ai eu comme professeur au séminaire, appelait par analogie « le sacrement du frère ». Un sacrement est un signe visible, tangible et efficace de la grâce de Dieu invisible ; il est l’instrument préparé et instauré par Dieu, pour communiquer et donner sa Grâce à la portée de notre humanité. Or, chacun de nous est devenu enfant de Dieu par la grâce du baptême, fils et filles de Dieu par adoption. Nous devenons le Temple de l’Esprit, le lieu vivant où Dieu a établi sa demeure et nous aime en donnant son Esprit d’Amour. Ainsi, chacun de nous, malgré nos péchés, est comme un signe visible et tangible de l’œuvre de la grâce. Evidemment, cela est particulièrement compréhensible et éclatant dans la vie des saints. Dans la vie de ces hommes et ces femmes, dont la vie a été identique à la nôtre, s’est manifestée de manière éclatante l’œuvre de la grâce, en eux cette grâce à l’œuvre s’est rendue visible. Ce qui a été possible en eux et pour eux, peut l’être à nouveau, en nous et pour nous. Si leur vie a ressemblé à la nôtre, par les circonstances, les épreuves, les combats, la nôtre peut ressembler à la leur, par la grâce.
Nous comprenons alors à quel point nous pouvons avoir besoin les uns des autres, comme dans une famille. La communauté chrétienne ne peut se réduire à n’être qu’une association de bonnes volontés réunies pour un même objet social ; elle ne peut se réduire à être une entreprise qui chasserait et embaucherait des compétences techniques ; elle ne peut être un club fermé de personnes qui se ressemblent. Nous devons apprendre à avoir besoin les uns des autres, nous devons découvrir que les autres ont besoin de chacun de nous, non pas au regard de nos compétences, de nos apparences, de nos moyens, de notre condition sociale, de notre sympathie, de ce que nous sommes capables de faire, de notre fonction, mais grâce à ce que nous sommes, avec nos qualités et nos défauts, avec nos mérites et nos péchés. Cela implique une attention, une prévenance et une bienveillance envers nous-mêmes et envers les autres.
De manière très suggestive, le code de droit canonique, inspiré par le IIè Concile du Vatican, dit au canon 673 « L’apostolat de tous les religieux consiste en premier lieu dans le témoignage de leur vie consacrée, qu’ils sont tenus d’entretenir par la prière et la pénitence. ». Ce n’est pas d’abord par ce qu’ils font que les religieux sont utiles au monde et à l’Eglise, mais par ce qu’ils sont. C’est aussi leur mission prophétique en ce temps de rappeler à chacun de nous cela, par le témoignage de leur vie « stable par laquelle des fidèles, suivant le Christ de plus près, sous l’action de l’Esprit Saint, se donnent totalement à Dieu aimé par-dessus tout, pour que dédiés à un titre nouveau et particulier pour l’honneur de Dieu, pour la construction de l’Église et le salut du monde, ils parviennent à la perfection de la charité dans le service du Royaume de Dieu et, devenus signe lumineux dans l’Église, ils annoncent déjà la gloire céleste » (cf. canon 573).
abbé Bruno Gerthoux, curé