Au bord du lac de Tibériade se tient un homme, à une centaine de mètres de l’embarcation des apôtres qui sont partis à la pêche, sans rien prendre de toute la nuit. Il ne doit pas être trop éloigné, puisqu’il parvient à parler et échanger avec les hommes sur l’embarcation, les invitant à jeter à nouveau leurs filets. C’est alors qu’ils remontent, contre toute attente, 153 poissons (cf. Jn 21, 1-14). Etant revenus à terre, ils partagent avec lui du pain et du poisson grillé au feu que l’homme avait préparé. C’est alors que l’évangile fait cette précision étonnante : « Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? ». Ils savaient que c’était le Seigneur ».
Peut-être étaient-ils suffisamment éloignés du rivage lorsqu’il s’adressa à eux, et qu’il est ainsi explicable qu’ils ne l’aient pas reconnu. Toutefois, ils ont échangé et parlé avec lui, n’auraient-ils pu reconnaître sa voix ? Cependant, lorsqu’ils reviennent sur la berge et sont avec lui, tout proche, autour du feu, ils pourraient le reconnaître. Cependant, ils ne semblent pas le reconnaître au sens littéral, c’est-à-dire à son aspect, à son apparence et à sa voix, et d’une certaine manière – c’est en tout cas ce que laisse entrevoir le texte – ils voudraient lui demander son nom, pour vérifier que c’est bien lui, mais ils n’osent pas. En effet, plus fort qu’une preuve, qu’une confirmation orale, leur conviction les conduit à savoir que c’est lui, que c’est le Seigneur. Ils l’ont reconnu.
Saint Jean, qui était dans la barque avec les autres, fut le premier : « le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : c’est le Seigneur ». En quelques mots, beaucoup de choses sont dites.
Il était comme évident que ce soit Jean, le disciple que Jésus aimait, qui reconnaisse Jésus le premier, lui qui, venu au tombeau, étant entré et le voyant vide avec les linges posés à part, « vit et crut ». Jean est celui dont la tête a reposé sur la poitrine du Seigneur Jésus à la Sainte Cène, lui qui fut présent au pied de la croix, jusqu’au bout, lorsque les autres apôtres avaient fui. Il n’avait pas mieux compris que les autres, et n’avait pas eu moins peur, mais ce qui le liait au Seigneur Jésus était plus fort : le regard de foi de son cœur.
L’apôtre saint Jean est emblématiquement représenté par l’aigle – qui orne aussi souvent les pupitres de proclamation de la Parole de Dieu -, parce que selon la tradition des anciens, l’aigle est le seul animal qui puisse voler en regardant le soleil, sans être ébloui. L’aigle est par là un symbole de la contemplation, de la foi qui voit et comprend ce qui dépasse la capacité des sens de l’homme.
Jean ne vit, avec ses yeux, que le tombeau vide et les linges posés là, et cependant, dans la foi, il crut. Dans cet épisode de la pêche miraculeuse, que vit-il ? Il serait trop simple de penser que c’est le seul miracle qui le fait réagir. Au fond, même s’ils ont passé la nuit sans rien prendre, ils n’en sont pas moins de pêcheurs professionnels, et il n’est pas, en soi, miraculeux, qu’ils prennent des poissons, n’est-ce-pas ? Ce qui, au fond, est plus surprenant, c’est que ces pêcheurs professionnels, malgré leur compétence et leurs moyens, n’aient pu prendre aucun poisson pendant toute la nuit. Aussi, je dirais que c’est moins le fait d’avoir pris des poissons qui fait réagir saint Jean, que la séquence qu’ils ont vécu, à savoir, passer la nuit sans rien prendre, malgré leurs compétences et moyens, et sur la parole d’un homme, prendre une grande quantité de poisson, contre toute attente, alors même qu’ils étaient prêts à abandonner la pêche.
Ce n’est pas le miracle qui conduit saint Jean à affirmer et confesser : « c’est le Seigneur », mais la marque de la grâce de Dieu dans cet enchaînement d’évènements. Notre métier n’est peut-être pas de pécher du poisson, mais dans nos activités, bien souvent, malgré nos compétences, les moyens et le temps que nous employons, confiants en nous-mêmes, nous constatons que les fruits ne sont pas toujours à la hauteur de nos attentes, à vues humaines. Et cependant, parfois voire souvent, contre toute attente, sans pour autant parler de miracle, des fruits sont portés au-delà de ce que nous aurions pu même imaginer, attendre ou espérer. N’est-ce pas là la marque de la façon de faire de notre Seigneur ? Nous arrive-t-il alors, non seulement de le reconnaître intérieurement, mais aussi de le proclamer et d’en témoigner ?
En effet, c’est par la foi témoignée et proclamée par Jean que Simon-Pierre se jette à l’eau pour aller rejoindre le Seigneur Jésus. Ce n’est pas un filet qu’il jette sur la parole de Jésus, mais lui-même se jette à l’eau, à cause du témoignage de foi de saint Jean.
Encore un point, sur la plage, il prend le pain et le leur donne. Les mêmes mots et les mêmes gestes qui avaient été faits lors de la multiplication des pains, à la Sainte-Cène et avec les disciples d’Emmaüs. C’est ce que nous pouvons vivre, à notre tour, dans la célébration du sacrifice eucharistique.
Une fois de plus, tous ces textes et récits de la résurrection nous conduisent à un chemin de foi, non pas pour reconnaître l’authenticité du fait de la résurrection dans l’histoire, mais pour, à notre tour, reconnaître le Seigneur Jésus ressuscité qui nous a promis « moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».
abbé Bruno Gerthoux, curé de Montfavet