La synodalité en acte et en vérité
La semaine dernière, dans le cadre d’une rencontre l’Officialité interdiocésaine de la Province de Marseille (tribunal ecclésiastique), nous avons pu bénéficier d’une conférence de Mgr Valdrini, éminent canoniste, sur le thème de la synodalité. Evidemment, ce que je vais écrire ne sont que des notes prises au cours de cette conférence, et qui ont été mises en forme et commentées librement. Elles ne prétendent pas être exhaustives. En tout cas, personnellement, cette conférence a été stimulante et a nourri mon espérance.
Dans la démarche synodale, nous pouvons redouter que ces discours, débats et échanges s’éternisent, que l’Eglise ne fasse que se regarder elle-même, sans aboutir à quelque chose de concret. Cependant, si le synode sur la synodalité peut nous conduire à réfléchir à la mise en place d’initiatives nouvelles, il nous invite aussi à voir et redécouvrir ce que l’Eglise, déjà, nous donne comme moyens pour comprendre et vivre cette synodalité.
Dans son discours de 2015, le pape, à l’occasion du 50è anniversaire de l’institution du synode des évêques par Paul VI, a souligné une réalité évidente, mais qu’il fallait rappeler : « la synodalité, c’est marcher ensemble ». Etymologiquement, c’est la signification des mots grecs. En fait, c’est aussi affirmer une réalité essentielle de l’Eglise, qui met les personnes ensemble, dans la diversité de leurs états, cultures, statuts et charismes, sans les opposer, ni les séparer. Dans l’Eglise, nous ne sommes pas seuls, et aucun ne peut être ou prétendre demeurer isolé. C’est vrai entre chrétiens, dans la foi, mais c’est vrai aussi pour l’Eglise elle-même, toute entière, dans la société et le monde où elle vit sa mission.
Aussi, la synodalité est avant tout un moyen qui réunit les fidèles, et en pratique, concrètement et au quotidien, la synodalité, ce sont les communautés chrétiennes – essentiellement diocèses et paroisses. La célébration du sacrifice eucharistique est l’élément fondamental de ce type de communautés, parce qu’elle est l’accord fondamental des personnes ayant des statuts divers.
C’est dire aussi que dans la synodalité propre à l’Eglise existe aussi toujours, nécessairement un élément hiérarchique. Mais cet élément hiérarchique ne doit jamais être séparé ou opposé aux autres fidèles. Et précisément, le code de droit canonique de 1983 – dont l’une des sources est le Concile Vatican II - a voulu dépasser et éviter la confrontation entre clercs et laïcs. Comme le rappelait en substance saint Augustin : « avec vous je suis chrétien, pour vous je suis évêque ».
Si la synodalité - parce qu’elle dit un aspect de la nature de l’Eglise - est comme une culture, il ne faut pour autant pas réduire la synodalité à n’être qu’une sympathie. En effet, si nous la réduisions à n’être que cela, nous pourrions toujours courir le risque de la subjectivité, dans le jugement, les relations, la mission. Aussi, pour exister réellement et authentiquement, cette synodalité a besoin d’être institutionalisée, c’est-à-dire que des moyens institués et formalisés soient donnés aux fidèles (clercs, consacrés et laïcs), comme garants d’une authentique synodalité. Tout au long de son histoire, l’Eglise a trouvé des moyens adaptés à son époque, pour vivre cela, et les transmets par son droit propre.
Le droit de l’Eglise, notamment le Code de Droit canonique promulgué en 1983, prévoit les lieux institutionnels de la synodalité, fruit de l’expérience séculaire de l’Eglise tout au long de l’histoire, à la lumière de la Révélation, transmise par la Sainte-Ecriture et la Tradition. Ces institutions sont prévues au niveau des Eglises particulières (diocèses), des regroupements d’Eglises particulières (Provinces, Nations), de l’Eglise Universelle. Toutefois, je me limiterai, dans le cadre de cet éditorial, à évoquer cette synodalité au niveau des Eglises particulières.
Dans les Eglises particulières, tous les éléments de la synodalité sont là. L’évêque, chef et pasteur propre du diocèse, envoyé par le pape, a la charge de conduire le diocèse, avec la collaboration du presbyterium et des fidèles dans la diversité de leurs états et charismes. En même temps, l’évêque est aussi membre d’un collège en communion avec le pape, qui a la charge de toute l’Eglise, dans sa mission de Salut.
Dans le diocèse, trois institutions organisent et structurent la synodalité. Tout d’abord, le Synode diocésain est une forme de synodalité extrêmement expressive, parce que l’Evêque y exerce son pouvoir législatif « in synodo », dans le synode, c’est-à-dire avec les autres membres du synode, selon le mode de participation qui aura été prévu. Tous sont membres à part entière du synode, l’évêque en est membre avec le pouvoir législatif ; les autres en sont membres avec voix consultative.
Le Conseil presbytéral est aussi un organe prévu par le droit pour permettre la synodalité. L’évêque n’en fait pas partie, et cependant ce conseil est associé à son gouvernement de toute l’Eglise particulière. Un vis-à-vis est ainsi créé, mais non une opposition. Le Conseil presbytéral, d’ailleurs, se dote lui-même de ses statuts, pour mettre en œuvre, en pratique, cette coopération, et même si ces statuts doivent être approuvés par l’Evêque, ils mettent en évidence ce vis-à-vis, cette altérité.
D’autres conseils peuvent intervenir, traduisant la diversité du diocèse, qui œuvrent « sous l’autorité de l’évêque ». Ainsi en est-il du Conseil diocésain de Pastorale qui par sa forme et fonction représentative, doit « configurer le diocèse » auprès de l’évêque, pour l’aider dans son gouvernement.
Le droit de l’Eglise est un droit dit naturel, c’est-à-dire un système juridique où le Droit précède la norme, par opposition au droit dit positif, où la norme créée le droit. La source du droit naturel, pour l’Eglise, c’est la Création, bien sûr, mais aussi la Révélation, par l’Ecriture et la Tradition. Le droit canonique est un outil au service de l’Ecclésiologie - c’est-à-dire de la théologie qui dit ce qu’est l’Eglise dans sa nature, son existence et sa mission - et aussi un instrument propre pour permettre à l’Eglise de prendre place dans la société humaine. La pastorale, sans le droit, demeure velléitaire et cours le risque de la subjectivité. Le droit, sans la pastorale, est sans objet, puisque sa finalité est le salut des âmes, comme le rappelle le dernier canon du code de droit canonique, redisant ainsi ce qu’est la finalité de l’Eglise.
Abbé Bruno Gerthoux, curé