La bienveillance est un combat
Littéralement et étymologiquement, la bienveillance, c’est vouloir le bien. Il ne serait pas juste de la limiter à n’être qu’une vision rêvée ou idéalisée du monde et des personnes. Elle est un acte positif de la volonté qui choisit et veut le bien, comme finalité et comme moyen, en particulier dans le rapport avec son prochain. Mais précisément par cela, elle s’avère être aussi un combat, puisque bien des réalités viennent lutter contre cette volonté, pour la décourager, la combattre et tenter de la vaincre.
La bienveillance est une vertu, c’est-à-dire une bonne habitude qui devient une force, dans notre cœur et notre intelligence, dans notre vie et nos relations avec les autres et le monde. Cette vertu trouve sa source et son modèle en Dieu. En effet, par amour Dieu veut et crée le monde et les hommes ; par amour, Dieu veut leur salut et le réalise en acte. La première victoire est celle de l’Amour, avant tout combat. L’homme et le monde n’ont mérité ni le don de la vie, ni celui du salut, toutefois, par suite ce don gratuit, malgré tout, est déjà une victoire. C’est en Dieu, qu’elle a son fondement ; en Lui et par sa grâce, qu’elle croit et s’affermit.
Toutefois, cette vertu n’est pas reçue de manière magique. Elle est acquise par la répétition d’un acte bon qui devient une bonne habitude. La vertu, c’est exactement cela. Elle se renforce dans les victoires, certes. Toutefois, même dans les échecs, lorsque nous prenons du recul, que nous tirons des leçons, que nous nous relevons, la vertu est affermie. Devenue une habitude du bien, elle est comme spontanée, et peu à peu, chaque fois toujours plus, elle est une force.
En effet, bien des réalités peuvent combattre la bienveillance, cette volonté du bien. Les situations qui échappent à notre pouvoir et à notre maîtrise, affectant nos santés, notre moral et vies. En particulier lorsque nous subissons les catastrophes naturelles ou humaines, nous faisons l’expérience de notre pauvreté, de notre vulnérabilité et de notre impuissance. Par ailleurs, l’attitude, les actions, les paroles d’autres personnes, proches ou non, peuvent aussi déstabiliser, affaiblir voire anéantir notre bienveillance. Mais en tout cela, précisément lorsque nous faisons l’expérience de notre impuissance, nous pouvons toujours nous réveiller et nous relever, choisir de ne pas nous laisser abattre, et de ne pas laisser au mal le dernier mot, et finalement comprenant que le bien est plus fort, le vouloir et prendre les moyens de l’obtenir et de lui donner la victoire.
Or, parmi ces réalités qui peuvent affecter notre bienveillance, il en est une qui est sournoise, parce qu’elle est un obstacle de notre propre cœur. En effet, la bienveillance passe aussi par un regard, celui que nous portons sur les autres et le monde. Et dans ce regard, nous risquons toujours d’être les artisans de la défaite et de l’échec de notre propre bienveillance. Il n’est pas rare que le regard que nous avons sur les autres et le monde, et surtout le jugement que nous portons, soit le plus grand obstacle au bien. Pire, nos jugements idéologiques ou superficiels et nos condamnations péremptoires et sans appel peuvent même apparaître comme une justification du fait de ne pas vouloir le bien, sous prétexte que nous ne le voyons pas. Or, dans ce cas-là, nous ne le voyons pas, parce que nous avons choisi de ne le pas voir !
Lorsqu’une personne me confie qu’elle a du mal à aimer une personne, qu’elle est inclinée à la critiquer, bien souvent en se justifiant de le faire, je l’encourage toujours, précisément, à prier pour cette personne, à cause de cela. Evidemment, dans notre vie de tous les jours, nous vivons des situations, nous croisons des personnes qui nous blessent, nous agacent, nous font du mal. Il ne s’agit pas de justifier ce mal, mais au contraire, de ne pas lui laisser la victoire.
Ce témoignage de bienveillance, presqu’imperceptible - en tout cas, qui n’est pas spectaculaire en lui-même - peut transformer nos vies, concrètement, magnifiquement et spectaculairement. Oui, la bienveillance est un combat ! Toutefois, il ne se gagne pas contre les autres, il se gagne dans notre cœur, ne serait-ce qu’en étant saisi par la miséricorde de Dieu et sa bienveillance pour chacun de nous qui sans mérite, est comblé d’Amour.
Abbé Bruno Gerthoux, curé