Le prophète Isaïe (58, 1-9) exhorte et corrige le peuple de Dieu qui récrimine et se lamente parce qu’il a l’impression que Dieu ne voit pas son jeûne et ses pénitences, n’entend pas sa prière, et finalement que les efforts du peuple ne sont pas récompensés à la hauteur de ce qu’il espérait : « Quand nous jeûnons, pourquoi ne le vois-tu pas ? Quand nous faisons pénitence, pourquoi ne le sais-tu pas ? ». Or, qu’espéraient les fils d’Israël ? « Ils voudraient que Dieu soit proche » !
Leur objectif est juste, mais les moyens utilisés sont-ils adaptés ? En fait, il manque quelque chose ; ils ont fait « un peu », mais pas assez. Ils ont fait suffisamment pour avoir l’impression d’être dans les règles, mais pas assez pour que leurs efforts atteignent leur but et portent du fruit. Par le prophète Isaïe, le Seigneur répond : « Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien faire vos affaires, et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous. Votre jeûne se passe en disputes et querelles, en coups de poing sauvages. Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix. » !
Le problème est simple : ce qu’ils font ne changent ni leur habitudes, puisqu’ils savent bien faire leurs affaires, ni leurs cœurs, puisqu’ils sont durs, querelleurs, bagarreurs et fauteurs de disputes. Il ne s’agit pas de négliger le jeûne et la pénitence, de mépriser ces pratiques, mais de les utiliser comme des moyens pour changer nos cœurs et nos habitudes.
La pénitence et le jeûne, la prière, la charité qui sont les points d’attention et les repères de tout chemin de carême ne sont ni décoratifs, ni optionnels. Tout d’abord, ils s’enracinent et prennent en compte notre humanité dans ses limites et sa pauvreté. Nous le savons bien pour d’autres réalités de notre quotidien, ce qui ne coûte pas peut passer pour n’avoir pas de valeur. Pourquoi en serait-il autrement dans notre vie de foi qui est certes spirituelle, mais aussi incarnée dans notre humanité que la grâce vient transfigurer ? Ces repères ne sont pas des fins en soi, des exploits à accomplir, des points à gagner, mais des moyens, précisément pour que Dieu soit proche de nous ! Le vrai critère n’est pas celui de la quantité, mais de la qualité.
Ce qui fut vrai pour le peuple d’Israël, est encore vrai aujourd’hui pour nous. Est-ce que notre carême et les efforts que nous avons établis ont changé quelque chose dans notre quotidien, dans nos habitudes, dans nos activités professionnelles et de loisir, dans notre relation aux autres (en famille, en Eglise, dans la société) et finalement dans nos coeurs ? Si notre Carême n’a pas de conséquence tangible dans notre quotidien, comment peut-il avoir vraiment de la place et porter du fruit ? Comment pourrait-il toucher aussi ceux qui nous côtoient ? Comment pourrait-il être un témoignage ?
Nous le savons bien chacun, il est difficile de changer nos habitudes et nos rituels, parce que cela nous rassure. Toutefois le Carême est une opportunité qui nous est donnée pour remettre de l’ordre dans nos vies, laisser à Dieu sa place, et reprendre notre propre place auprès de Lui et dans nos vies. « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? ». Il s’agit bien de briser tous les jougs et toutes les chaînes, à commencer par ceux de nos habitudes, de notre routine, de notre confort, de notre bien-être, aussi légitimes puissent-ils apparaître a priori. Pourquoi ? parce que nous voudrions que Dieu soit proche !
Abbé Bruno Gerthoux, curé