Des pierres et des hommes
En 463, après le décès de Justus, lorsque le futur saint Eutrope fut élu à l’unanimité évêque d’Orange, assurément celui-ci fut honoré d’être choisi dans ces conditions, de devoir assumer la mission de successeur des apôtres, de ce que cela représentait de confiance en sa personne et de reconnaissance de ses capacités et compétences. Toutefois, arrivant dans sa ville épiscopale, il fut effrayé par la situation de la cité et en particulier par l’état de son église. Sa réaction fut de fuir ; il rentra ainsi à Marseille. Là, un homme de Dieu parvint à le convaincre de retourner à Orange, soulignant que ce qui faisait la beauté de son église ce n’étaient pas les pierres, mais les hommes. Ce passage de la vie de saint Eutrope, évêque d’Orange – dont la mémoire est célébrée le 27 mai – m’a toujours marqué.
Ce qu’il avait vu, en arrivant la première fois, c’étaient les murs délabrés et le bâtiment en mauvais état. Ce qu’il n’avait pas vu, c’étaient les hommes et les femmes, les fidèles, clercs et laïcs, qui avaient besoin que l’on prenne soin d’eux, d’être nourris, enseignés, conduits et sanctifiés. Il revint à Orange et si mit au travail.
Assurément, il s’occupa des chrétiens et prit soin d’eux, mais il s’attacha aussi à relever le sanctuaire fait de pierres et à lui rendre son éclat, sa splendeur, sa beauté. Ce qu’il n’avait pas vu, en premier, et qu’il découvrit en acte et en vérité, c’est que l’une et l’autre réalité sont liées. Prendre soin du sanctuaire, c’est prendre soin du peuple, et prendre soin du peuple conduit à prendre encore plus soin du sanctuaire. Il se dépensa pendant douze ans, ardemment, à prendre soin de son église, aussi bien dans la célébration du culte que dans le soin des pauvres, dans les travaux des champs que dans la construction des églises. La cathédrale d’Orange conserve dans un bras reliquaire du XIXe siècle, une relique du saint. J’aime ce reliquaire qui semble fixer dans le temps ce geste de bénédiction de saint Eutrope sur sa ville d’Orange.
Pour la réouverture de la cathédrale de Notre-Dame-de-Nazareth et de Tous les Saints, à Orange, le samedi 11 novembre 2023, au cours de son homélie, S. Exc. Mgr Fonlupt, archevêque d’Avignon a dit ces mots, en substance : « ce lieu est celui où les hommes viennent rencontrer Dieu ; ce lieu est celui où Dieu vient à la rencontre de l’homme ». Maison des hommes et maison de Dieu, au milieu des autres maisons, dans la cité, ces pierres ne constituent pas un simple abri, un lieu de réunion ou de rassemblement parmi les autres, un édifice chargé d’histoire et orné d’œuvres d’art. Ce lieu est celui de la rencontre de l’homme avec Dieu, témoin et serviteur de cette rencontre, non seulement transmettant le témoignage de cette rencontre à travers le temps et l’histoire, mais aussi au service de cette rencontre, aujourd’hui, ici et maintenant, notamment à travers la beauté de ce que voient les yeux, entendent les oreilles, sent le nez, ce que peuvent toucher les mains, à travers tout ce que perçoivent les sens, et qui touchent et enflamment le cœur.
Nos sanctuaires, églises et chapelles, portent ce témoignage silencieux et pourtant éloquent. Prendre soin de ces lieux, c’est aussi prendre soin du peuple de Dieu, prendre soin de nous. Ce n’est ni anodin, ni futile, ni sans conséquence pour chacun de nous. Nous ne pouvons prétendre vouloir prendre soin du peuple de Dieu en vérité, sans prendre soin de ces lieux, témoins et serviteur d’une foi vivante, même si parfois, ils ne sont pas autant utilisés que nous le souhaiterions. Et le signe, l’indice que nous prenons soin du Peuple de Dieu et que cela porte du fruit, se manifeste et rayonne dans la beauté et l’éclat du sanctuaire.
Abbé Bruno Gerthoux, curé